Textes Divers

Recopilación de textos relacionados con Gregorio Rodilla

«Rodilla, le regard et le Dr. H.F. Robelet»
L’Axolotl comme prétexte

Résume d’une conversation épistolaire à partir de un récit de Julio Cortázar


-Gregorio Rodilla.-
Je crois que la dernière fois que nous nous sommes vus, notre sujet de conversation nous a amené à une discution sur le concept du regard. C’est le résultat d’avoir vue une série de tableaux sur des poissons que j’ai dans mon atelier où j’ai voulu exprimer des sentiments aussi humains que l’agressivité, la peur et l’inquiétude...

-Dr. H.F. Robelet- Oui. C’est vrai. L’un de ces tableaux est au-dessus de mon bureau, et je suis en train de le regarder pendant que je t’écris.

-G.R.- Tout cela me vient à l’esprit car l’autre jour j’ai relu un récit de Julio Cortázar (“Axolotl”) et j’ai pensé à toi car je me suis souvenu de l’intérêt que tu portes à mes tableaux sur les poissons, leurs yeux et leur regard. J’espère que tu as reçu mon courrier et la copie de cet récit.

-Dr. R.- Oui, il est arrivé ça fait quelques jours et je te remercie énormément ton envoi J’ai lu ta lettre et j’ai dévoré des yeux la nouvelle, tellement qu’à la fin…j’ai craint d’être devenue une nouvelle. Je vais essayer maintenant de te dire ce qui m’est venu à cette lecture que je n’ai pas détachée de ton travail. Comme l’aquarium du Jardin des Plantes, un tableau est un piège à regard. Comme l’Axolotl de l’aquarium, quand je regard un tableau qui me plait je me aperçois qu’il me devient indispensable ; et si je ne deviens pas le tableau, le tableau fait cependant partie de ma vie, peut-être même de moi. J’ai en tète des expositions dans les quelles j’étais pris dans une longue file dense et compressée, collant à des tableaux comme a des trésors dont il ne faut rien perdre ; il y a aussi de l’impudence à se pencher sur ses formes silencieuses et immobiles entassés au fond du Muséum.

-G.R- Oui, c’est terrible de visiter des expositions qui ont un grand écho médiatique étant donné le nombre de gens qu’elles attirent. On est parfois obligé de s’y rendre car c’est l’occasion unique de voir un tableau en particulier, car autrement ce sera difficile de le contempler. Habituellement les grandes expositions, comme celles du Grand Palais ou du Musée du Prado sont remplies d’œuvres qu’un visiteur habitué aux musées connaît et qui peuvent être vues à un autre moment pendant des visites habituelles dans ce même musée. Pendant la dernière exposition de Velázquez au Prado, pratiquement tous les tableaux exposés formaient partie de l’exposition permanente du Musée, sauf quelques uns concrètement et dans ce cas, cela a valu la peine bien qu’il ait fallu attendre!

-Dr. R.- Nous sommes d’accord. Mais pas tout le monde a le moyen d’être en contact permanent avec le monde de l’art et il faut profiter de l’occasion pour « se mettre à jour ». Mais, revenons à notre sujet et à la nouvelle de Cortázar. A la fin de la nouvelle il y a un moment que j’ai beaucoup aimé, où le narrateur passe du je au il et du il au je faisant passer le point de focalisation du visiteur a l’axolotl. Surtout et c’est là le point de rencontre avec une grande partie de ton travail, c’est l’apparition ou la présentification de l’objet regard. C’est un drôle d’objet insaisissable que tu mets en scène derrière des reflets de lunettes dans un œil de poisson, dans un fin de miroirs ; même dans tes anciens tableaux (ceux de l’espace, de l’architecture impossible) c’est mon regard que je sens frappé, comme si le tableau aspirait mon regard par ma curiosité de suivre les plans et d’être aspiré dans une perspective des volumes impossibles qui se recoupent. Çà m’aide à penser le regard comme un objet : comme un objet qui m’est pris, ou comme un objet que je ne sais pas où poser, ou comme un objet qui est présent dans le tableau. Un drôle d’objet imaginaire que je ne vois jamais et qui et pourtant présent. C’est Lacan qui a développé toute cette thématique en produisant un concept qui est devenu central dans la psychanalyse: l’objet petit a.

-G.R.-C’est maintenant qu’intervient notre ami Lacan… Nous rentrons dans des «grands thèmes» ! Je sais bien que Lacan est pour toi une source enrichissante en psychanalyse et ceci m’intéresse car nous entrons dans un domaine de l’art dans le quel moi, comme artiste, je ne peux ni ne veux me situer parce que tout art “intellectualisé” perd la fraicheur de la plasticité et encourt le risque de s’arrêter à l’anecdote du message. Cependant ce discours a posteriori m’intéresse car il me fait découvrir des choses que j’ai faites et qui sont là. Et c’est à ce moment là que tu rentres en scène.

-Dr.R.- Je comprends ta position comme créateur d’une œuvre, mais moi comme spectateur parfois je ne peux pas me défaire, en analysant un tableau, de ma formation professionnelle. Evidemment ceci reste en marge de l’émotion que la plastique de l’œuvre peut me marquer. Mais, reprenons notre objet petit a. Un objet perdu, cicatrice de la castration, cicatrice de la coupure à être des êtres parlants, un objet irreprésentable et dont les occurrences dans la vie sont, entre autres, l’objet regard et le objet voix. Je disais tout à l’heure «objet imaginaire» mais c’est un imaginaire particulier, car non spécularisable- l’œil, la main etc., son spécularisables : quand je me regard dans le miroir mon œil droit devient l’œil gauche de mon image virtuelle dans le miroir. Le regard lui aussi est imaginaire et toi tu arrives à le représenter et pourtant il n’est pas spécularisable : je ne le vois jamais et il est présent sur une surface imaginaire. A cet objet a son branchées les deux questions : du Désir el de l’Angoisse. Cet objet a sous son occurrence de l’objet regard lorsque il apparait (je pense à plusieurs de tes tableaux ou à la nouvelle de J. Cortázar) apparait aussi la question : qu’est ce qu’il me veut ? ; et vient aussi la question de l’Angoisse dans la rencontre avec le désir de l’Autre. Cet objet perdu qui cause le Désir plus on s’en approche, plus l’Angoisse se présentifie. Je suis aspiré par le désir de l’Autre au point de devenir l’Axolotl. Ce qui me frappe dans la nouvelle de Cortázar c’est qu’une outre occurrence de l’objet a, l’objet Voix, est absent.

-G.R.- Vraiment, vous les psychiatres vous mettez à nu les artistes et vous nous laissez sans défense même devant notre propre œuvre. Tu sais bien que dans mon travail, les miroirs ont formé partie dans ma recherche du mystère et de la partie cachée de l’objet, non pas l’objet dans le concept psychanalytique que tu observes, mais comme élément fondamental de l’être et par extension, de la plastique. Pour toi, le regard est imaginaire (bien que tu lui donnes l’autorité de l’objet a), pour moi non et c’est pour cette raison que j’arrive à le représenter comme tu pu déjà parfaitement observé. Par contre, je suis d’accord avec la constatation des Concepts du Désir et de l’Angoisse et ce thème m’intéresse beaucoup. Toi, tu les remarques par une analyse psychanalytique mais pour un créateur plastique, comme moi, ce sont des éléments sur lesquels il faut compter, auxquels il faut faire face parce qu’ils sont là et qu’ils peuvent se manifester. Ils surgissent durant le processus de la création. Et de plus, l’action de l’un d’eux-le Désir- peut faire démarrer l’autre et le marquer à un tel point qu’ils vont se rendre indispensables en dépendants l’un de l’autre et, dans certaines occasions extrêmes, ce sera traumatique pour le propre artiste, Vive la névrose.

-Dr.R.- Je me suis aperçu qu’il t’arrive la même chose qu’à moi et que ta réflexion est marquée par le dynamisme et l’activité de ton travail, Allons y, car il y a aussi un autre thème qui est intéressant : le Trou. Le trou de l’œil habité par le désir qui devient regard. En français dans le bâtiment un regard c’est un trou dans un tuyau. La vie pulsionnelle passe par les trous du Corps y compris par le trou des paupières et de l’œil (l’objet c’est un ensemble d’objets qui se détachent du corps, voix, regard, seins, phallus). Comme je te l’ai déjà dit, je suis dans mon bureau en train de t’écrire et juste au dessus de moi se trouve l’un de tes tableaux aux poissons. Il y a ce rond noir, avec une partie blanche brillante et une tache rouge…voici donc la question du Désir et de l’Angoisse.

-G.R.-Comme tu verras nous retournons à nos vieux fantasmes du Désir et de l’Angoisse. On ne peut pas s’en défaire et en plus je crois qu’ils nous sont indispensables (même si l’on retombe dans la routine de l’Angoisse). Qu’en serait-il de la création sans leur participation et surtout sans leur oppression? Ce sont eux qui nous maintiennent en vie! Mais en ce moment et comme nous sommes en train de rentrer dans le domaine des «sujets profonds», où va t-on situer Freud dans ce long charabia?

-Dr.R.- C’est vrai que nous lui devons, tout au moins au passage, un commentaire. Que cette petite anecdote de notre grand Maître viennois serve au moins de conclusion à ma réflexion et à mon délire. C’est une dernière association à propos des orifices oculaires de l’Axolotl, orifices brillants d’or. A propos de brillant, Freud recevait un Anglais fétichiste qui avait appris l’allemand dans son enfance et qui était fasciné par «le brillant» sur le nez. Il était en perpétuelle quête de regarder et d’être regardé par le brillant avec un passage d’une langue à l’autre : Glänzend (brillant en Allemand), to glance at (jeter un coup d’œil en Anglais).

-G.R.- Avant de nous dire au revoir, je souhaiterais te faire remarquer quelque chose. Nous sommes partis de Cortázar y tu es arrivé à un point de rencontre avec mon travail. Cependant, il y a une grande différence entre la narration de Cortázar et mon travail. Chez Cortázar le monde de l’ imaginaire et le monde du réel se fondent et confondent en un seul et chez moi, ce qui est en jeu, c’est le mystère caché de l’objet, que ce soit l’être humain ou bien le lieu qu’ occupe dans l’espace l’objet matériel. Son univers et son travail sont de beaucoup plus intéressants, riches et surtout passionnants.

-Dr.R.- Ça c’est vrai, mais la nouvelle de l’Axolotl a été un alibi pour délirer en compagnie et ça c’est aussi amusant et sympathique… !



Angers-Barcelona. Nov. 2009


La Chair dans la peinture de Gregorio Rodilla

Chez tous les artistes, il y a des époques, des temps divers ou encore des ruptures évidentes. Chez Gregorio Rodilla, tout cela existe mais on ne le voit pas à première vue. On dirait qu'il n'y a pas de changements. Dans son œuvre, cette évolution est si pausée qu'aucune rupture n'arrive à s'extérioriser. Elle n'apparaît clairement qu'en observant le travail de l'artiste après avoir laissé passer du temps sans avoir suivi sa transformation.
Il faut juste faire une analyse chronologique de son œuvre pour constater son évolution.

C'est à ses débuts, dans sa période « madrilène » et dans ses premiers tableaux figuratifs, que Gregorio Rodilla commence à utiliser le méandre des plans pour s'aventurer dans l'exploration de l'espace. C'est l'héritage de son passage à l'Ecole d'Architecture. D'une façon prudente, il commence à se libérer et, au moyen d'éléments indéfinis, il essaie d'attirer l'attention du spectateur en recherchant sa complicité dans cette exploration.
Ultérieurement, cette complicité se matérialise par le biais d'objets concrets, qu'il est possible de décrire. L'artiste donne le nom de "natures mortes" ou simplement de "paysages" au résultat obtenu; Mais cela n'en ai pas moins un jeu dans la recherche du mystère ressenti face à l'espace ou une obsession pour l'occulte et l'observation de l'énigme de l'entourage.
Pendant sa période "parisienne", il y eut une parenthèse, au cours de laquelle la figure humaine fut évidente. L'artiste ne l'utilisa pas dans le contexte habituel de l'étude des formes. Cela lui était inutile parce que, ce qu'il recherchait, ce n'était pas la connaissance propre, mais le "masque authentique" de l'individu. C'est la raison pour laquelle son contact avec l'être humain se cristallisa dans le portrait. "C'est là que se trouve le mystère et l'inquiétude" affirma-t-il à un moment donné.

Et son obsession pour l'espace continua.
L'artiste a besoin de nouveaux objectifs à atteindre. Il change de support: le bois remplace la toile et il se lance dans le collage. Mais cela n'est pas suffisant pour lui et il commence à utiliser la matière. Il mélange les éléments dont il dispose, il les manipule, les transforme et même les malaxe et lutte contre eux. L'espace est oppressant et devient plus manifeste... Et la fascination qu'il ressent pour lui continue.
C'est à partir de ce moment que, pour concrétiser cette oppression, l'objet devient fondamental. C'est lorsqu'on prétend cacher la spiritualité des choses que l'esprit se matérialise. C'est le "tout" qui prétend se montrer afin de justifier ce qui est substantiel. Le contenant acquiert une identité. On passe des éléments à l'objet concret.

Et la chair devient protagoniste.
Les natures mortes le conduisent à "la mort de la nature" avec toute la charge émotionnelle que cela comporte. Et l'exposant le plus explicite de la mort, c'est la chair, la chair lacérée, dépecée et ruinée, sans arriver pourtant à être pourrie car on entrerait dans une autre dimension. C’est la nécrose et la déformation du tissu qui prennent vie.
Pour que cette charge émotionnelle  se matérialise, le matériel et la couleur -dans sa forme la plus conventionnelle- sont fondamentaux. Il n'est pas nécessaire que la figuration soit standard. Non seulement ça, mais en plus, elle doit juste nous rappeler la particularité de l'objet pour que, lorsque le regard du spectateur sera attiré vers elle, le courant de l'émotion puisse passer, comme conséquence du refus de la violence inquiétante de la matière et qui est vitale pour atteindre son objectif: nous faire réfléchir sur l'essence des des objets.

Gregorio Rodilla est un artiste existentiel. Lorsqu'il parle de l'espace, c'est de son territoire dont il s'agit. Quand il parle du paysage, c'est de l'environnement dans lequel il se sent vivant dont il parle (dans les tableaux "Interior de un paysaje" et "Paisaje interior", on observe l'inquiétude face à l'opression externe). Lorsqu'il parle du mystère de la vie quotidienne, il parle de l'observation et de l'angoisse de l'existance de tous les jours. Ses portraits ne sont pas des portraits habituels mais des tentatives ou des aproximations au coeur de l'intimité. Mais quand il parle de la chair, qui est le dernier résultat de son travail, il ne parle pas de sa propre chair, mais du fardeau et de l'emballage éphémère, symboles de la temporalité de la vie.   
L’objet n’est pas uniquement l’objet en soi, mais il fait partie essentiel de l’œil qui le regarde.

Dans le fond, Gregorio Rodilla est à la recherche de l'esprit et de l'essence des choses. Et ça ne va pas être aisé pour lui car, bien qu'il essaie encore et encore, de manière obstinée, il n'y arrivera jamais. Voilà la cruauté et la grandeur de l'artiste...



L’H. Octobre, 2009